Né en 1965 à Gando, un village du Burkina Faso, l’architecte Francis Diébédo Kéré, déjà souvent récompensé, a reçu en mars le prix Pritzker, l’équivalent du prix Nobel pour l’architecture. 

Premier Africain lauréat de ce prix, il a clôturé, avec panache, après le Goncourt au jeune Sénégalais Mo-hamed Mbougar Sarr et le Nobel de littérature au Tanzanien Abdulrazak Gurnah, le cycle de récompenses prestigieuses attribuées en 2022 à des Africains dans le domaine de la culture. 

Fils aîné du chef de Gando, son village natal du Burkina Faso, et envoyé à l’âge de sept ans à Ouagadougou pour y être scolarisé faute d’école dans son village, il se fait la promesse qu’il y en construira une « quand il sera grand ». 

Muni d’un CAP de menuisier, il bénéficie d’une bourse allemande et part à Berlin. Après cinq années passées à rattraper le cursus secondaire, il passe le bac et commence des études d’architecture, dont il sort diplômé en 2004. 

L’école de Gando 

En 1998, pour financer son pre-mier projet, l’école de son village, il crée l’association Schulbausteine für Gando (Des briques pour l’école de Gando). Avec les premiers fonds obtenus, il se procure une presse à briques de terre et décide en 2001 de démarrer le projet malgré un budget serré. Pour cela, il doit obte-nir l’aval de son père, le chef, et celui des villageois. Une tâche ardue, car ils s’attendent à voir une école cons-truite en ciment et en béton sur le modèle occidental, la construction en terre ayant une connotation « villageoise », très négative, synonyme de sous-développement. 

Construite en briques de terre stabilisée au ciment, l’école, terminée en 2001 et pour laquelle il reçoit le Prix Aga Khan d’architecture, qui s’accompagne d’un puits pour le village et d’un jardin maraîcher scolaire, sera complétée dès 2004 

d’un bloc de logements pour les enseignants, à voûtes nubiennes, popularisées dans les années 60 par le grand architecte égyptien Hassan Fathy, précurseur de la construction écodurable en terre et en matériaux locaux, et premier lauréat du prix Nobel alternatif en 1980. 

L’école permettra au monde entier de découvrir l’architecture du Burkinabé. Le bâtiment ocre, bien ventilé, se distingue à plusieurs ni-veaux, avec une masse thermique élevée retenant l’air frais à l’intérieur et renvoyant la chaleur vers le plafond. 

Le système de double toiture fait le reste. L’expulsion de la chaleur est provoquée par les différences de température entre les volumes. Les fenêtres à lamelles aident à mainte-nir une température agréable et à contrôler la lumière dans le bâti-ment, ce qui le rend indépendant de l’électricité 

Alors qu’en Afrique, la majorité des écoles sont construites en ci-ment, dont la production et l’utili-sation ont un coût économique et environnemental énorme, les pro-jets de Kéré sont basés sur des con-cepts qui garantissent leur durabilité. 

Le confort climatique est assuré, les coûts sont limités, les matériaux utilisés sont locaux, et la commu-nauté est consultée et participe au projet. 

La structure se compose de murs porteurs constitués de blocs de terre qui absorbent la chaleur. Le bâtiment est orienté Nord-Sud afin de bénéficier des vents domi-nants du sud-ouest. 

Le plafond est constitué de pou-tres de béton armé qui soutiennent une couverture en blocs de terre comprimée. 

Une des spécificités des projets de Kéré réside dans la conception du toit. Supporté par une structure d’acier qui le met à distance du corps du bâtiment, ce qui permet à l’air de circuler librement entre le toit et le plafond en maintenant l’intérieur frais, débordant largement des façades pour les ombrager, il est non pas en tôle ondulée comme celui des autres écoles et bâtiments « en dur », mais en bacs alu, l’aluminium étant le seul métal capable de réfléchir à 90 %r le rayonnement solaire thermique, ce qui en fait un allié pour la climatisation naturelle. De plus, il ne rouille pas, donc ne demande ni peinture, ni entretien, ni remplacement. 

Nouveaux projets au Burkina Faso 

Par la suite seront conçus sur les mêmes principes l’école secondaire de Dano en 2007, et l’aménagement en 2010, à l’occasion du 50e anni-versaire de l’indépendance du pays, du parc national du Mali, à Bama-ko, comprenant un restaurant, un centre sportif et un hall d’accueil. 

Les années suivantes, il travaille sur d’autres projets à Gando et ail-leurs, où, chaque fois, les habitants participent à son développement. De cette façon, ils apprennent les techniques de construction et d’en-tretien du bâtiment. 

C’est cette approche collabora-tive favorisant le réemploi et le re-cyclage, et génératrice d’emplois et de revenus locaux qui vaudra à l’ar-chitecte de recevoir le Global Award for Sustainable Architecture en 2009. 

Suivra la réalisation à Mopti du Centre pour l’Architecture en terre, qui achève une série d’initiatives de l’Aga Khan Trust for Culture, compre-nant la restauration de la mosquée et la construction d’un nouveau sys-tème d’évacuation des eaux usées. 

Construit au bord d’un lac, le Centre, qui comprend une salle d’ex-position, un centre social, des bains publics et un restaurant, est le pro-duit des mêmes techniques de cons-truction utilisées pour les anciennes grandes mosquées de Mopti, Tom-bouctou et Djenné, ce qui montre qu’un matériau qui fait partie du patrimoine local peut très bien être utilisé dans un contexte moderne. 

Kéré construit aussi le centre associatif pour femmes de Gando, qui comprend une salle de classe, une salle de réunions, un bureau, une cuisine et des bains, ainsi qu’un dépôt pour les produits agricoles. Les destinataires sont un groupe-ment de 300 femmes du village et des environs de la province de Boulgou, avec pour objectif d’amé-liorer leur qualité de vie de façon durable. Multifonctionnel, il est aussi utilisé comme centre éducatif pour adultes. 

Toujours à Gando, la bibliothè-que de l’école raccorde le premier bâtiment et son extension. Avec sa forme elliptique, il se distingue des autres édifices. Le plafond est très innovant, car il utilise le savoir-faire des femmes. Fruits de l’artisanat traditionnel, des vases en terre cuite ont été coupés et placés dans la cou-verture en béton, un dispositif qui permet de créer des ouvertures zé-nithales et permet une bonne venti-lation sous le toit en aluminium. 

Suivront de nombreux projets conçus selon les mêmes principes : le collège de Gando en 2013, avec 12 salles de classe, une bibliothèque, un bâtiment administratif et des terrains de sport pour 1 000 élèves ; le village Opéra à Laongo, à l’initiative de l’artiste allemand Christoph Schlingensief, sur un plateau de12 ha près de Ouagadougou, qui com-prend des logements reconstruits après une inondation, un théâtre, des laboratoires, un centre médical, des logements pour le personnel, un puits et une école pour 500 élèves, ainsi que des classes de musique et de cinéma ; un centre médical en 2012 à Léo, près de la frontière du Ghana, à150 km de la capitale, dont le budget limité, géré par la fondation allemande Operieren in Afrika, amène l’architecte à utiliser des modules préfabriqués ; en 2016, à Youlou, à 2 km de Koudougou, le Centre Noomdo, un orphelinat construit en utilisant le mêmes techniques et matériaux. 

Reconnaissance internationale 

Bien loin de Gando et des exi-gences du développement durable, la carrière de Francis Kéré prend son envol quand l’architecte chi-nois Wang Shu fait appel à lui pour le projet expérimental de réinser-tion urbaine qu’il dirige dans l’ar-chipel de Zhou Shan, en Chine. 

Capitale chinoise de la pêche peuplée d’un million d’habitants, Zhou Shan se situe à l’entrée du delta du Yang Tsé. Le but du projet lancé en 2009 est de transformer la zone de Putuo, un bassin industriel, en un district touristique et culturel. Le bassin restera en vigueur et l’architecture maintiendra un dialogue entre modernité, histoire et héritage de la zone. Kéré a conçu pour elle une galerie d’exposition, un centre d’information, des ateliers artistiques et un jardin autour d’une plateforme qui s’étend jusqu’à la montagne et constitue un espace de transition entre le site industriel du district et le milieu naturel qui se trouve derrière lui. 

Sur le thème « Reconstruire le lien familial », Kéré est aussi l’un des 3 architectes, avec le Brésilien Gringo Cardia et le Japonais Shigeru Ban, à avoir été invité à concevoir un es-pace au Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, ouvert en 2012 à Genève. 

Le Burkinabè a conçu des pro-jets dans de nombreux pays à tra-vers le monde, notamment des prototypes de bâtiments scolaires adaptés aux différentes régions cli-matiques du Yémen.. 

En 2017, il est le premier Afri-cain à être choisi pour construire le Serpentine Pavilion, un bâtiment éphé-mère construit chaque année dans Hyde Park, à Londres, une consé-cration pour tout architecte. 

Invité à de nombreuses exposi-tions, il a présenté ses idées à la Deut-sches Architektur à Francfort, à l’Ex-po 2008 de Saragosse, à l’exposition Small Scale, Big Change : New Architec-tures of Social Engagement; d’octobre 2010 à janvier 2011 au MoMA de New York, au centre d’architecture Arc en rêve à Bordeaux de décembre 2012 à mai 2013, et au Congrès Inter-national d’Architecture à Pampelune Architecture : more for less

L’architecte s’intéresse aussi à la résolution d’autres problèmes. En-tre autres, s’il y a un bâtiment qu’il désire ardemment terminer, c’est celui de l’Assemblée nationale, à Ouagadougou, détruit lors des émeutes de 2014. 

« J’ai été invité pour créer une Assemblée nationale transparente, accueillante et qui héberge un idéal. Je veux créer une espèce de pyramide. Les pyramides viennent de l’Afrique, et je veux que toute la population du Burkina, de l’Afrique, puisse venir monter sur cette pyramide. A cause du terrorisme, les travaux ont été stoppés. Mais j’espère bien qu’ils seront relancés » a-t-il déclaré. 

La transmission, un devoir 

Kéré a été professeur dans son école de Berlin, et a enseigné pen-dant l’été 2012 à l’Université du Wisconsin à Milwaukee. Professeur depuis la rentrée 2012 à la Harvard Graduate School of Design, il enseigne à l’Académie d’architecture de Mendrisio, en Suisse, depuis 2013. 

Après avoir, comme nous l’avons signalé plus haut, reçu le Prix Aga Khan d’architecture en 2004, et le Glo-bal Award for Sustainable Architecture en 2009, Francis Kéré a été honoré successivement du BSI Swiss Architectural Award en 2010, du Marcus Prize for Architecture en 2011, du Regional Holcim Award Gold pour l’Afrique et le Moyen-Orient en 2011, du Global Holcim Award Gold en 2012, et enfin, reconnaissance suprême, du Prix Pritzker en 2022 

Brigitte Sarrazin 

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